Les résultats
Objectifs globaux du projet ELOCAN
L’accès au crédit immobilier est un enjeu de société qui concerne un Français sur trois. Dans la plupart des pays occidentaux, les banques demandent aux emprunteurs de couvrir leur prêt par une assurance. Or l’accès à cette assurance emprunteur est difficile pour les anciens malades du cancer, qui sont considérés comme ayant un risque aggravé de santé, avec de possibles surprimes, des exclusions de garantie, ou même un refus d’assurance. En France, une loi intitulée « le droit à l’oubli » (DAO) a été mise en place en 2016 pour les aider à accéder à l’assurance-emprunteur, en fonction de leur diagnostic, de leur âge et de leur stade. Depuis, d’autres pays Européens ont suivi l’exemple Français.
L’hypothèse principale du projet ELOCAN était que le droit à l’oubli avait réduit les difficultés d’accès à l’assurance emprunteur. On postule également que le droit à l’oubli est un dispositif complexe, qui soulève des enjeux à l’échelle individuelle et sociétale. Cette recherche s’appuyait sur une enquête quantitative par questionnaire en ligne et des entretiens qualitatifs.
Les résultats ont été présentés au travers d’un webinaire des Seintinelles, dont le replay est disponible ici.
Résultats de l’enquête par questionnaire (voir la publication)
L’objectif de l’étude par questionnaire était d’évaluer les effets du droit à l’oubli sur la réduction des difficultés rencontrées par les anciens malades du cancer vis-à-vis de l’accès à l’assurance emprunteur. Les difficultés étaient définies comme le fait de payer une surprime, d’avoir des exclusions de garanties, ou de se voir refuser toute proposition d’assurance par un assureur. Pour cela, on a sollicité la participation d’anciens malades traités pour un cancer pédiatrique ou un cancer du sein et des personnes (des « témoins ») sans antécédent de cancer.
Les participants ont été principalement mobilisés au travers des Seintinelles et de la cohorte FCCSS.
Les difficultés d’accès à l’assurance emprunteur signalées par les anciens malades et les témoins avant et après l’adoption du droit à l’oubli ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire en ligne et comparées entre les groupes (en suivant la méthode d’une étude contrôlée « avant-après »). Les groupes ont été rendus comparables (« appariés ») à l’aide d’un score basé sur la proximité des participants en termes d’âge, de sexe, de montant du capital assuré et de variables se rapportant à l’état de santé (comorbidités, tabagisme, surpoids). Le recueil de données s’est arrêté en 2022 et celles-ci ne prennent donc pas en compte les évolutions de la loi Lemoine.
Les résultats montrent que la probabilité d’avoir des difficultés à obtenir un prêt a diminué de manière significative après l’adoption du droit à l’oubli. Sur 552 répondants appariés, des difficultés d’accès à l’assurance liée au prêt ont été signalées par 65 % des cas contre 16 % des témoins avant le droit à l’oubli et par 35 % des cas contre 15 % des témoins après le droit à l’oubli. Ces différences étaient significatives sur le plan statistique quand l’ensemble des participants étaient inclus. Mais, quand les analyses faisaient la différence par type de cancer, on observe que les résultats n’étaient pas significatifs pour la sous-population des personnes traitées à l’âge adulte pour un cancer du sein, même s’il y avait bien une réduction importante de difficultés rapportées avant et après la loi.
Les résultats de l’étude quantitative sont publiés et accessibles gratuitement ici
En conclusion, cinq ans après la mise en place du droit à l’oubli, on observe une diminution significative de la proportion d’anciens malades du cancer rencontrant des difficultés après l’adoption du droit à l’oubli. Cependant, il restait des difficultés possibles dans la mise en œuvre, la diffusion et l’utilisation de la loi, en particulier pour les personnes traitées à l’âge l’adulte. La nouvelle loi Lemoine, dans laquelle le droit à l’oubli a été réduit pour tous les cancers 5 ans après la fin des traitements, et, qui prévoit la suppression des questionnaires de santé dans certaines conditions, représente une avancée majeure. De plus, la convention AERAS continue de publier des grilles de référence permettant la prise en compte des avancées médicales.
Résultats de l’enquête par entretiens
Pour comprendre les barrières sociales, cognitives et symboliques à l’utilisation du DAO à l’échelle individuelle, des entretiens ont été réalisés avec des anciens patients avec différentes expériences liés au crédit.
Des entretiens ont également été réalisés avec des assureurs, des législateurs, des juristes et des représentants d’associations, en France et à l’étranger, pour comprendre les barrières institutionnelles, politiques et économiques à la mise en place du DAO, en France et dans les pays où il a été implémenté.
Les entretiens montrent qu’il reste des difficultés possibles dans la mise en œuvre, la diffusion et l’utilisation de la loi. Les critères utilisés par les assureurs pour évaluer le risque peuvent sembler arbitraires ou inadaptés aux yeux des patients qui estiment être guéris. Surtout, les dispositions de la convention AERAS s’opposent à celles du « droit à l’oubli » puisqu’elles nécessitent de solliciter un avis médical et de mentionner les antécédents médicaux, ce qui procède d’un raisonnement contrintuitif et difficile à comprendre pour le public. Le droit au devis ou le prêt sans assurance sont inconnus, et les courtiers en assurance méconnaissent les spécificités de l’emprunt dans un contexte de risque aggravé en santé. L’accès aux dossiers médicaux est parfois difficile, et une confusion persiste sur le statut des ALD et du suivi à long terme après un cancer. Le fait que certains contrats d’assurance emprunteur peuvent être proposés avec sélection médicale, même si cela ne concerne qu’une minorité d’assureurs, ajoute une confusion supplémentaire.
Une réflexion sur les limites éthiques du droit à l’oubli a également fait l’objet d’une publication, vous la trouverez ici.
La diffusion d’informations relatives au droit à l’oubli sur les réseaux sociaux.
En parallèle de l’étude principale Elocan, un travail relatif à l’utilisation des médias sociaux dans la diffusion d’informations relatives au droit à l’oubli été publié
R. Debailly, H.Jeanningros et G.Lejeune, (2022) ‘Twitter and the Dissemination of Information Related to the Access to Credit for Cancer Survivors: The Case of the “Right to Be Forgotten”in France »‘ in Social Computing and Social Media: Design, User Experience and Impact.Proceedings, Part I.
Méthodes
Dans cette étude, nous avons collecté 60 740 messages portant sur le droit à l’oubli postés sur le réseau social Twitter. L’analyse de ces Tweets et des réseaux de diffusion montre la centralité des associations dans la diffusion de l’information et dans la mobilisation pour l’amélioration de l’accès des anciens malades au crédit.
L’assurance emprunteur avant l’adoption du droit à l’oubli.
Des membres du groupe ELOCAN ont conduit une recherche sur les difficultés d’accès à l’assurance emprunteur après un cancer pédiatrique avant l’adoption du droit à l’oubli. (Accéder à la publication)
Méthodes
Dans cette étude, 1920 adultes traités avant l’âge de 18 ans dans cinq centres de cancérologie français ont répondu à un questionnaire en 2010. On a demandé aux personnes qui avaient essayé d’obtenir un crédit à la consommation ou un prêt immobilier si elles avaient eu des difficultés (c’est-à-dire dire elles avaient eu des refus, des hausses du coût de l’assurance ou des exclusions de garantie). Le questionnaire recensait également un large nombre de problèmes de santé (liés aux systèmes circulatoire, respiratoire, digestif, urinaire, endocrinien, hormonal et nerveux). Les difficultés d’accès à l’assurance emprunteur ont donc été étudiées en prenant en compte toute la trajectoire de santé des personnes concernées, c’est-à-dire l’historique des pathologies sévères précédant l’année de la demande d’assurance.
Résultats
Les participants avaient 6 ans en moyenne au moment du diagnostic et 32 ans en moyenne au moment de la demande de crédit. Des difficultés ont été rapportées par 10% des personnes ayant tenté d’obtenir un crédit à la consommation et par 30% de ceux ayant tenté d’obtenir un prêt immobilier. Les personnes qui avaient déclaré leur cancer pédiatrique à l’assureur ont rapporté plus de difficultés d’accès à l’assurance, même en prenant en compte l’âge, la situation professionnelle et familiale et l’occurrence de maladies aggravant le risque de santé telles que les maladies cardiovasculaires. En conclusion, cette étude attestait de l’importance que le droit à l’oubli pouvait représenter pour l’accès à l’assurance emprunteur pour les personnes traitées pour un cancer pédiatrique.

